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Les aventures d'Haffy

9 février 2012

Patrons -Pierre 1er

Au commencement fut Pierre 1er. Un homme aux cheveux gris, la cinquantaine. J'avais 21 ans et il me paraissait excessivement vieux. Mais ... Pierre était un humain. Juin, fin de mes études, août, fin de mes années d'insouciance étudiante, direction l'ANPE et une adorable conseillère qui me donne une adresse, rue Simon Dereure. Pascal est parti, je suis tétanisée de chagrin. Pierre me reçoit gentiment car je ne sais rien faire, je ne comprends même pas l'intitulé du poste. Au terme de l'entretien, il m'avoue avoir déjà reçu plusieurs candidates et me demande ce qui consituerait un plus chez moi. Je n'ai qu'une idée en tête et elle jaillit en propos spontanés : "L'homme que j'aime m'a quittée, il faut que je travaille pour oublier ma peine". Il reste silencieux un instant et m'embauche. Je resterai 3 années dans cette petite structure familiale à la hiérarchie si savamment entretenue : Pierre est le patriarche, sa compagne, la gestionnaire de la société, sa fille d'un premier mariage, la comptable, sa femme d'un second mariage, première photographe, assistée de son ex-amant officiel, le frère de la gestionnaire est monteur vidéo. Maria et moi sommes les petits poucets de cette famille reconstituée très en avance sur son temps. Et je suis finalement une involontaire partie prenante car la seconde photographe n'est autre que la belle-mère de mon premier amour, un autre Pierre, un autre hasard. Elle aussi a partagé le lit de l'assistant.

Pierre assume très bien son rôle de père par procuration : chacun de mes soucis lui est rapporté et comme je suis en manque de famille et mal dans ma peau, je suis une emmerdeuse. Notre salaire nous est remis chaque fin de mois via un chèque non barré que l'on présente à la banque en échange d'espèces à déposer sur nos comptes. Un certain vendredi, je récupère ma paye trop tard et la conserve avec moi l'espace du week-end. Elle ne survivra pas à ces deux jours : le lundi, je suis au guichet, ouvre mon sac mais l'enveloppe est vide. Guy est passé par là. Je suis désespérée, pleure sur mon coin de bureau. Maria est furieuse, quitte la pièce et revient quelques minutes plus tard :"Pierre veut te voir". Je mouche mon nez, sèche mes larmes, traverse le long couloir, l'entrée et pénètre dans le bureau du fond. Pierre me tend une liasse de billets qui représente mon salaire. "Maria m'a raconté ce qui t'est arrivé". "Tu ne comprens pas" car Pierre a été le premier et le dernier de mes patrons que j'ai osé tutoyer. Jamais je ne pourrai le rembourser. "C'est toi qui ne comprends pas : ce n'est pas un prêt, je te donne cet argent". Pierre a dit à la conseillère ANPE que j'étais une perle trouvée sur un tas de fumier. Je suis un mixte de pigiste et de secrétaire, nous enregistrons tous les spots publicitaires qui passent sur les deux chaînes nationales puis remplissons des tableaux de bord pour nos clients : heure, date, incident, pas incident. Je suis effrayée par le chargement et déchargement des bandes 3/4 de pouce, les annonces à faire, admire la dextérité de Christine. Mais j'apprends et nous ferons bientôt des concours de rapidité. J'apprends aussi la dactylographie, seule dans le studio, sur une machine mécanique prêtée par Hélène et je m'efforce d'utiliser tous les doigts de mes deux mains, la gauche surtout car je suis droitière. Tant et si bien que je serai finalement plus habile à babord qu'à tribord. Nous travaillons un week-end par mois mais je suis toujours volontaire, en manque chronique de finances. Le sort du dernier embauché est la "garde" de Noël. Je suis triste devant mes écrans, Maria armée d'un plat italien fait maison, vient me tenir compagnie un petit moment. Tout le monde se fréquente hors bureau ou presque, c'est la famille. Incluse dans le cercle, je suis invitée à l'anniversaire de Pierre. Yves, le père de Pierre mon amour, est là avec Christine. Finies les tromperies, ils se sont réconciliés. L'ex amant est là aussi mais si discret qu'on le voit à peine. Yves tolère. J'embrasse tout le monde et m'apprête à partir lorsque Pierre 1er m'interpelle : "Tu ne m'as pas dit au revoir !". Mais si. Je pense qu'il est un peu saoul et m'approche. Pierre me passe un bras autour du cou, brutalement, me coinçant contre lui. Je suis raide comme un piquet, essaie de le repousser mais il me tient fermement d'une main et de l'autre appuie sur mes deux joues pour me forcer à ouvrir la bouche. C'est fait : s'ensuit un baiser humide et rapide. Il lâche prise, je le repousse violemment. Tout le monde a vu. Je me sauve, honteuse. Pourquoi doit-on se sentir coupable lorsque l'on n'a commis aucune faute ? Réaction typiquement féminine. Yves est très en colère. Il crie sur Pierre et court derrière moi. Christine aussi. Quand Yves me rattrape, il me console mais j'ai toujours l'impression d'être sale. 

Pierre m'a présenté ses excuses, je les ai acceptées. C'est homme que je pensais vieux n'est qu'un gamin qui aime les femmes ou les jeunes filles dans mon cas. Il n'aura plus jamais de gestes déplacés. Pierre était sans doute trop paternaliste mais c'était un humain, une personne droite qui n'a jamais profité de son statut de patron pour tenter d'influer sur le cours de nos vies sentimentales, ni usé de quelconques rétorsions si on lui opposait un refus. 3 belles années se sont ainsi écoulées avant que je n'ennuie. J'aimais les gens, j'aimais les spots publicitaires mais je voulais découvrir d'autres mondes, d'autres choses. J'avais adoré la nouveauté que représentait le télécopieur : quelle magie que ce bout de papier que l'on glissait dans la machine et qui ressortait à l'identique à des kilomètres de distance. J'avais adoré ces soirs de pige où les écrans ne partaient pas à l'heure. Il me fallait alors appeler les opérateurs des chaînes et je devinais dans le silence fatigué qui règnait autour de nous, l'emprunte des heures passées à la ruche, l'écho de tous les employés désormais au foyer.

Je me souviens de ce vendredi matin au labo, de l'accueil vide, du silence de l'usine où les machines s'étaient tues. Il faisait froid, le gardien était calfeutré dans sa loge. J'ai grimpé l'escalier, poussé la porte du plateau. Les bureaux étaient ouverts mais leurs sièges inoccupés, les écrans noirs. Ici pas de tags, juste la moquette bleue fatiguée des passages répétés de milliers de pas sur toute une décennie. Au bout du couloir, le montage était clos, plus personne à la production, plus personne au commercial, plus personne au planning, plus personne à l'international. Seules les affiches rappelaient ce que nous avions été : des fabricants de films, des vendeurs de rêves. Polisse, The Artist, Les Intouchables pour cette dernière année. Quel formidable palmarès pour une clôture de Festival, de Césars, d'Oscars mais pas un mot sur nous à la remise des trophées.

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3 février 2012

Ma meilleure copine

Premier souvenir : en noir & blanc, la cour de l'école primaire, Groupe Bayard. Des filles, exclusivement. Les garçons sont dans la cour voisine, ils braillent, nous n'entendons qu'eux. La mixité n'existe pas. Catherine est moquée pour ses rondeurs. Je souffre du syndrôme de Justice et prends illico sa défense. Les termes "surpoids", "surcharge pondérale" n'existent pas encore et ne sont pas de rigueur : Catherine est un peu plus enveloppée que nous, que moi qui bénéficie d'une nature haricot vert ou comment brûler instantanément ce que je mange, entre autre l'horrible tranche de pain d'épice que maman colle chaque jour dans mon cartable en guise de goûter. "Je n'aime pas" n'était pas une phrase autorisée.

Autre souvenir : nos courses folles de l'école à la maison. Je crie : "Cours Cathy, cours ! Tu vas maigrir !!". Et je cours avec elle, devant, et l'on rit et je tombe. Mes genoux sont toujours écorchés. Je la laisse au coin de l'impasse, tout essouflée. Au fond est sa maison mais je ne vais jamais jusqu'à sa grille. Enfant, tout écart du chemin déjà appris me paraissait une trop grande aventure vers l'inconnu. Je rêvais de suivre la gamine qui traversait le boulevard, d'enfin franchir seule le passage piéton, de suivre Armelle qui bifurquait vers la droite tandis que je m'éloignais à l'opposé. Mon grand-père venait me chercher le lundi, jour de fermeture de l'agence. Une seule fois a-t-il été en retard, une seule fois ai-je osé ne pas l'attendre et m'éloigner vers ce boulevard rêvé. Il m'a rattrapée au passage que je n'ai jamais franchi, la mine si sombre que je n'ai pas osé répondre à sa question : "Que fais-tu là ?". Il n'a rien ajouté.

La maison de Cathy était une terre inconnue et presque défendue. Je suis une solitaire, de par nature et sans doute aussi de par obligation : maman n'appréciait pas le monde des "amis". Si je pense n'avoir été que très rarement chez Cathy, je doute que Cathy soit beaucoup venue à la maison. Ma mémoire me renvoie l'image d'une salle à manger avec une table ronde, sa mère debout dans un demi jour, son père à la voix grave et moi plantée devant la porte d'entrée. Quant à son frère ... Un garçon, l'interdiction formelle et pourtant jamais exprimée de mes parents. Je ne crois même pas avoir jamais été dans sa chambre. Mais Cathy a vu la mienne toute de satin bleu et de montants de lit dorés, de papier peint aux couleurs des salons d'autrefois, choix exclusif du bon goût de maman. Nous ne pouvions qu'approuver : encore un "Je n'aime pas" non autorisée. Cathy était là par bulle parentale exceptionnelle pour cause de jaunisse et d'arrêt prolongé sur un trimestre. Petite, les amis autorisés se résumaient aux cousins et autres enfants de proches. Frédéric cousin était mon préféré et bien sûr, "on se mariera quand on sera grand". Frédéric proche et Yves étaient deux tourmenteurs, le genre de petits monstres qui poussait la brindille timide et maladroite que j'étais à fuir dès leur arrivée. En vain, toujours. Je n'ai jamais revu Frédéric proche qui portait un nom de famille ne lui ressemblant pas du tout : Damour. Yves est venu au baptême de Câline, s'est approchée de moi et m'a dit en m'embrassant tendrement : "Toujours aussi jolie". J'ai appris plus tard qu'il avait prénommé sa fille Agnès ... Où était le sale môme qui me collait son chewing-gum ou les pâles de son petit bateau à moteur dans les cheveux ? Au paradis des sales gamins bien sûr.

De la chambre de Guy, située au deuxième étage, je voyais la maison de Cathy. C'était un domaine réservé : les maquettes d'avions suspendues au plafond, les rayons d'encyclopédies, son odeur de jeune règnait dans la grande pièce. Je m'y faufilais en son absence car je n'avais tout simplement pas le droit d'y aller. J'adorais traîner dans sa minuscule salle de bain, privilège réservé à l'aîné des garçons, une pièce ridicule avec une vraie curiosité : une baignoire à siège. On y trempait assis. A l'heure convenue, je me mettais à la fenêtre et voyais Cathy, à deux pâtés de maisons de là me faire signe du vasistas qu'elle ouvrait. Instants volés, instants magiques.

Dernière année de primaire, dernière année avec Cathy. Je ne récolte aucun prix sinon celui de camaraderie malgré le vote contre de la maîtresse. Maman m'a laissé le choix : internat ou public. Mais je rêve de monter à cheval alors ce sera la pension. Cathy continuera dans le public et malgré quelques WE communs, nous finirons par nous perdre de vue. Je l'ai retrouvée un peu à la sortie de Juilly mais nous n'évoluions plus dans les mêmes cercles. Encore un peu par le biais d'une longue conversation téléphonique lorsque j'habitais dans mon sixième sans ascenceur rue de la Roquette. Et encore un peu grâce au miracle de la Toile : "Tapez le nom, l'école, l'année" et vous y êtes.

Quand les enfants me posent la question : "C'est qui ta meilleure copine ?", je réponds invariablement "Catherine". Qui ??? s'écrient-ils tous en choeur. Catherine. Parce qu'à cet âge, la meilleure copine compte plus que tout au monde, qu'avec le temps la signification de ces mots perd de sa valeur. Petit, on aime sans réserve, l'amitié est vraie et sincère, elle est pour toujours. Grand, on aime avec des si et des mais, mots inconnus de notre vocabulaire, de nos pensées à cette époque noir & blanc. Au final, nous nous sommes peu connues, 5 années de primaire dans une vie de 50 ans, peu fréquentées car si peu de jeux en dehors de l'école, si peu de suivi dans nos vies d'adultes mais si j'ai bien eu des "meilleures amies", je n'ai toujours eu qu'une seule vraie meilleure copine : Cathy.

26 janvier 2012

Bulle

Je bulle ... et culpabilise lorsque je bulle. Une sorte de rituel s'est installé : comme avant, je me lève à 6h, petit-déjeune et file dans la salle de bain avant d'aller réveiller Lou. Comme avant, je m'habille, lui laissant ainsi le temps d'émerger doucement. J'ai souvenir de la lumière crue des néons allumés à 7h00 par Soeur Joy, de la "grande lumière" envahissant l'espace de ma chambre lorsque papa me réveillait à Gargan. Je détestais cette brutalité et ne la reproduis pas sur mes enfants. Ensuite, c'est aussi petit-déjeuner pour lui, toilette et les dents en attendant que sonne le portable qui annonce l'arrivée de Xavier. Je laisse mon fiston dans le taxi : "Un bisou toi, un bisou moi !" et ils sont partis. En ce moment, il fait froid et noir. Un certain matin, les laissant derrière moi, je me suis éloignée machinalement vers la 207, en route pour le labo, avant de réaliser que LTC n'existait plus. Quelques secondes de désespoir abyssal, certitude d'un vide infini, des larmes refoulées. Retour maison, soudain pressée de me noyer dans l'habitude des petites tâches ménagères  matinales avant de m'installer devant l'ordinateur.

Ah, le net ... lien indispensable mais virtuel vers les autres. Après la fermeture, j'ai reçu une première invitation à être "amie". J'ai accepté et le miracle de l'espace câblé a aussitôt fonctionné. S'en sont suivi d'autres invitations parfois surprenantes. Je connaissais bien les ouvriers de visage mais peu par leur nom. Certains ne mettent pas leur photo mais une image évocatrice sans doute pour eux. Mais pas pour moi. Alors, je suis "amie" avec un ouvrier du labo qui n'est autre qu'un bonhomme de Noël en chocolat. Les @'s aussi, nombreux au départ et s'effilochant avec le temps. Chômer, c'est essentiellement attendre : attendre un appel, attendre une lettre, attendre un courriel. Alors, je me connecte, lis, réponds, fais les soldes virtuellement ou comment remplir son panier sans jamais rien dépenser puisque j'abandonne les sites au moment de la validation. Mais peu importe, je me suis bien amusée à explorer toutes ces rangées d'images. Je me connecte à Pôle Emploi, choisis les annonces qui me plaisent plus qu'elles ne m'intéressent : j'aime les descriptions de poste atypiques, qui évoquent quelque chose ou quelqu'un, peut-être ma future réalité professionnelle.  Si j'apprécie le gain de temps, de papier et d'argent - oubliés les stocks de papier à lettre, d'enveloppes et de timbres - via l'utilisation intensive des courriels, je regrette la déshumanisation des recherches. Deux options s'offrent à moi : la réponse automatique standard "pris bonne note de votre candidature ... sans nouvelle sous quinzaine ... nous conservons cependant votre CV dans nos fichiers" ou pas de réponse du tout. "Oui mais quand tu reçois 200 CV's" m'a objecté Liloute actuellement en stage de recrutement. Eh bien, tu fais un mailing négatif mais tu prends le temps de répondre à celles ou ceux qui ont pris le temps de t'écrire. Elle n'était pas convaincue, moi si. La réponse de la Lyonnaise était négative et extrêmement standard mais j'ai été heureuse de recevoir au moins UN courrier. Peu importe que l'on soit ou pas en poste, nous restons des gens, des personnes. Or là, le désintérêt manifeste des recruteurs pour quiconque n'entre pas dans le profil recherché frise par leur silence la simple non existence : nous les vivants avons écrit, exposé nos motivations au travers de la fameuse lettre dont on se demande si elle est ou jamais lue ? Comment croire que les habitants d'une rive ne puissent prendre quelques minutes pour s'adresser aux habitants de l'autre rive ? Je dois être vieux jeu à vouloir qu'un peu de chaleur humaine subsiste dans un monde ou tout est compétition. Quant au pourquoi du non, je ne le saurai jamais. Autre dommage : comment mieux s'adapter au marché du travail si vous ignorez tout de vos censés défauts ? 52 ans, je me doute que ce n'est pas mon atout premier ! Lorsque je suis entrée chez TRV, Pierre devait avoir à peu près le même âge et nous pensions tous - la moyenne d'âge de la société devait tourner aux alentours de la petite vingtaine - qu'il était "vieux". Alors mon âge combiné à mes 18 dernières années d'expérience dans une seule et même structure me paraissent soudain trop : j'ai adoré mon poste jusqu'à l'arrivée de Choléra mais apparemment personne ne se pose cette question. La conclusion serait plutôt que je n'ai pas évolué. D'ailleurs, dans les vacheries de Choléra figurait cette mention : "Regarde Haffy, elle n'a pas beaucoup évolué". Mais Haffy aimait ce qu'elle faisait et n'en demandait pas plus. J'imagine que pour une personne dévorée d'ambition se satisfaire de ma fonction devait être tout simplement incompréhensible ou synonyme de d'incompétence ... Or chacune des fonctions que j'ai occupées tenait à cela : aimer ce que je faisais, construire une place aussi banale que celle d'Assistante de Direction afin de la rendre intéressante sinon passionnante. Sans compter que Choléra n'avait jamais dû lire mon CV et savoir que pour tout diplôme d'études supérieures, je n'ai jamais eu qu'un BTS ! 

Je termine mes "travaux" net en général en fin de matinée. Ensuite, je déjeune. Avant je mangeais sur le pouce un peu de ci, un peu de ça. A présent, je m'offre une vraie pause, histoire d'avaler un vrai repas même léger. C'est le après qui m'interpelle car si je me débrouille toujours pour mettre le nez dehors au moins une fois par jour, hors les demandes subites et toujours pressées des enfants, si j'ai bien en tête tout un tas de projets, je ne parviens pas à provoquer le déclencheur qui va me pousser à démarrer ces mêmes projets. Alors, je bulle : un coup de barre, je roupille comme une bienheureuse, un programme qui me plait et je m'installe devant le petit écran, envie de me vider l'esprit, j'attrape les su-do-ku, envie que l'on me raconte une histoire, j'attrape un bouquin. Je bulle, je culpabilise.

4 janvier 2012

Liquidateur

Le 30 au matin, le facteur a sonné et Alain m'a tendu le recommandé. Quelle jolie fin d'année que ce courrier me rappelant ces jours si difficiles du mois de décembre et confirmant officiellement mon licenciement. Lettre aride, termes arides, aucune chaleur, pas une once d'humanité dans ces paragraphes listant les articles de loi ouvrant mes droits à ... A quoi exactement ? A date, ^m après une viste au Pôle Emploi, je suis perplexe quant aux choix qui me sont offerts : CSP ? ARE ? Acronymes dont je ne suis pas familière mais que j'apprends à découvrir car nous sommes nombreux à nous poser les ^m questions. Le hasard a voulu qu'à mes côtés se présentent un ouvrier LTC : nous avions tous les deux la ^m lettre en main et ^m si la situation ne s'y prêtait pas, nous avons ri et échangé un peu de notre passé commun.

Câline racontait ses aventures téléphoniques au bureau de l'agence. A des années d'intervalle, nous avions pourtant la ^m démarche : personnaliser les appels. J'ai rarement laissé les clients m'appeler "Madame" optant pour le prénom ^m si cela sous-entendait que je retourne un titre à mes correspondants. Humaniser la relation, créer un vrai lien avec lesclients. C'était le but de départ, l'idée que j'avais eue sous Anne, démarrer un service qui soit dédié aux demandes des clients, qui noue un contact réel avec l'appelant. C'était une bonne idée, qui a très bien fonctionné jusqu'à l'intervention désastreuse de notre ex-cyberpresident. Detry nous avait expliqué, quelque part dans une grande salle du labo, que la richesse des sociétés tenait en leur personnel et leurs clients. Pour le premier, des directeurs étaient nécessaires mais les petites mains restaient essentielles. Pour les seconds, mon service était apte. Il a honoré ses paroles : voilà un homme qui en 6 mois de temps a tout appris du laboratoire et de son fonctionnement, des hommes jusqu'aux machines, côté image, côté son. Il m'a entraînée à ses côtés et j'ai adoré travailler avec lui parce que c'était un grand patron, tout simplement. Capable d'être cassant, il savait pourtant être drôle et attentionné. Je regrette qu'il n'ait malgré tout été qu'un financier, l'homme qui s'est désintéressé de nous une fois les sociétés reprises et remises sur de bonnes rails.

Mais j'ai aussi adoré ma fonction parce qu'elle m'a permis d'écouter de merveilleuses histoires, de rencontrer des gens extraordinaires : le personnel du laboratoire et nos clients. Le CNC nous a décrits comme des artistes. Nous n'étions pas des artistes, nous étions des humains merveilleux. Le laboratoire était avant tout une usine mais une usine dédiée aux rêves car le cinéma reste un monde magique. Je me souviens de la rumeur qui a précédé la sortie de "La haine". Les couloirs bruissaient du talent de ce nouveau film, de ce jeune réalisateur. Chacun tentait de se glisser dans les salles de projection, ne serait-ce que pour apercevoir quelques images de cet ovni. Monsieur Morin, si réservé habituellement, est venu me sortir de mon bureau, un franc sourire à demi caché par sa barbe, pour me proposer de regarder une bobine. Une bobine, ce sont 20 minutes. Etonnée par cette inhabituelle hardiesse de sa part, je l'ai suivi. 20 minutes extraordinaires : noir & blanc, images très contrastées tirées sur de la pellicule son, une révolution pour mes yeux et pour ma tête. Comme pour les histoires appréciées, ce que je venais de voir avait bousculé ma matière grise : il fallait que j'y pense. Et repense encore. Aucun autre film n'a provoqué cette émotion chez nous, pas ^m le merveilleux "Intouchables". 

A l'époque de la trilogie du Seigneur des Anneaux, nous étions plus versés dans la confidentialité. Une image, sans rapport, me revient à l'esprit : Disney devait visiter nos locaux. Nous avions donc été tous priés de revêtir des blouses blanches dont le port était obligatoire dans les services fabrication et comme je croisais deux administratifs ainsi vêtus, Dominique m'a souri en me disant avoir songé à rajouter des oreilles de Mickey à sa tenue. Mais ... n'étant pas certain que les officiels apprécieraient, il avait opté pour la sobriété ! WARF !! Grand fou-rire de notre trio.

Un peu plus tard, Cho Ming m'a appelée contestant la facturation d'un titre, le Printemps quelque chose. Impossible de trouver ce titre dans la base sauf à le conjuguer avec la trilogie, une idée subite liée à la date. Sus aux pirates : afin d'éviter le vol, chaque volet portait un nom d'emprunt sur les boites ! Sur 3 années d'affilée, à chaque sortie, le distributeur nous laissait une copie à disposition, que le personnel puisse aussi profiter de son travail. J'ai aimé mais reste persuadée que le cinéma ne devrait pas produire de si longs films : trop d'images, trop d'action ou d'inaction, l'attention se disperse toujours à un certain moment car ce n'est plus une histoire que l'on déroule mais un pavé littéraire que l'on vous demande d'absorber. Et ^m si j'aime lire parce que j'adore que l'on me raconte des histoires, je sais quand la nécessité de poser le pavé se fait sentir, l'instant où l'on doit quitter la trame parce que l'attention, aussi volontaire soit-elle, n'y est plus ou plus tout à fait.  

23 décembre 2011

Presse & responsabilités

BG m'a écrit "Le labo pue la mort". Falbala m'a appelée, évoquant les heurts de ces derniers jours. Olivier m'a envoyé l'article d'Emmanuel Berretta dont les termes ont été repris ou vice & versa, je l'ignore, par Mediapart. J'ai voulu répondre à ce journaliste car si son article était le plus proche de la vérité que j'ai lu à date, il contenait certaines informations et notamment au niveau des chiffres qui étaient erronnées. Mission impossible : la page s'auto-détruisait pour m'en proposer une nouvelle la minute écoulée ... Nous étions encore dans le cinéma, informatique cette fois-ci. Alors, je répondrai à Monsieur Berretta au travers de ce message en tant que salariée du laboratoire sur presque 18 années jusque ce "jeudi noir", en tant également que responsable du service clients sur un presque aussi long temps qui, laissé aux bons soins de notre actuel ex-Cyberpresident s'est transformé en simple service recouvrement sous la férule du Choléra.

Le journaliste évoque les producteurs mais cite Mars Distribution et StudioCanal qui pour nous n'étaient que des clients distributeurs, excellents payeurs et certainement pas à 180 jours. Je dois ajouter pour clore sur ces deux sociétés et tout particulièrement à propos de StudioCanal qu'ils ont accepté de poursuivre l'aventure avec nous début 2011 alors ^m qu'ils nous savaient déjà extrêmement fragiles. Le très gros litige existant entre notre ex-Cyberpresident et Europacorp, source du blocage de leurs paiements alors ^m qu'eux aussi étaient de très bons payeurs n'est pas mentionné : ce client a dépensé 15 millions d'€ sur Duran pour "La mécanique du choeur" dont on ne sait aujourd'hui ce que sera le futur. 15 M€ facturés et dûment payés à courte échéance. Quant à Move Movie, seul vrai producteur du lot car dans la dette Europacorp, la distribution tenait la haut du pavé en facturation, il ignore que le deal a été clos pour 50k€ pour solde de tous comptes : le producteur a appelé, pleuré parce que le film ne marchait pas en salles alors ^m que la ristourne de fin de film consentie était déjà énorme. Et à son habitude, notre Direction a traité seule, creusant un peu plus le trou de nos finances.

N'est pas mentionnée non plus la RFA ou remise de fin d'année accordée aux distributeurs sur le métrage tirée dans l'année : elle est due par contrat à Mars, à StudioCanal, à Pathé. Et lorsque j'ai quitté le labo lundi, si les RFA avaient été dûment émises au 31 de ce mois ou 1er janvier 2012, ces trois clients auraient été en solde créditeur chez nous. Tout comme Europacorp.

Les producteurs, les directeurs de post-production et notamment un que je ne vais pas citer, sont bien responsables mais parce qu'un direction défaillante les y a autorisés. Après la Générale des Eaux, nousa avons eu Mr Detry sur 3 années pleines : sur ces 36 mois écoulés, pas une dette hors les redressements ou liquidations, aucun deal frisant le délire commercial, aucun copinage. Dommage qu'il ait ensuite laissé le pôle image et le pôle son entre de mauvaises mains. Car si l'actionnaire est cité dans tous les articles, au détour de toutes les interviews, le gestionnaire lui n'est jamais nommé : il était pourtant bien le "Président" du Groupe, le seul décisionnaire quant à la stratégie - aucune - politique commerciale - aucune - et tout autre action censée découler d'un manager se voulant ou se croyant patron d'un "Groupe" ... Je n'étais qu'une employée mais gérant les comptes clients, je pense moi que si l'actionnaire est coupable de n'avoir revisité les comptes que trop tard, au moment où il lui est devenu nécessaire de sortir son chéquier, se contentant d'encaisser ses dividendes dans l'intervalle, le responsable du désastre actuel est bien le gestionnaire, l'homme dont personne hormis les employés ne parle. Un peu comme de ces ^m employés : je lis et relis tous ces articles qui évoquent le risque de perte d'un "patrimoine culturel", de "films en danger". Où sont les articles qui parlent de patrimoine humain, de gens en danger ? Pour l'avoir vécu de l'intérieur, la décision de l'actionnaire au motif qu'il ne serait soudain pas capable d'honorer les RFA additionnées à la prime extra-légale accordée aux 80 salariés compris dans le PSE de décembre soit 3 M€, aussi brutale qu'incompréhensible car les RFA ont toujours été négociables, décision approuvée par le tribunal, je sais que ce qui s'est passé est une catastrophe humanitaire : le 8, le PSE était approuvé et voté à main levée par les salariés, le 9 au matin nous apprenions que nous serions liquidés le 15 ... Et le 15 nous étions morts. Avec nous vont mourir les autres sociétés du Groupe que le labo n'a jamais cessé de nourrir. Je n'étais qu'une administrative avec 18 années d'ancienneté mais j'ai vu des hommes, des femmes, des ouvriers pour la plupart avec des 30, parfois 37 années de métier dans cette société se mettre à pleurer puis à combattre. Comment en 4 jours rayer 18 années de ma vie et pour eux toute une vie ? Vous pouvez vous déplacer au labo : les tags sur les murs ne parlent pas de l'actionnaire.

Je sais que des usines ferment tous les jours, que des ouvriers sont ainsi laissés sur le carreau sans grande compassion. J'ai vu les reportages couvrir certaines de ces détresses humaines. Mais l'information ne devrait pas être simplement l'actualité du jour, plutôt ses conséquences, les ouvriers ne devraient pas être dans la lumière que le simple temps de leur fracas. De ^m, les coupables devraient-ils être au moins poursuivis. La responsabilité de l'actionnaire, oui, la responsabilité du CNC, oui, la responsabilité des producteurs oui en demi-teinte : parce qu'on les a autorisés à être responsables, la responsabilité du seul gestionnaire jamais cité : un très gros OUI.

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21 décembre 2011

Mercredi 21 décembre

J'ai croisé Sandrine ce matin, notre adorable factrice. Lorsque je parle de chômage, j'ai l'impression d'agiter un épouvantail. Tout comme Roger, elle avait l'air consternée : "Ca va ?" m'a-t-elle demandé comme si j'étais atteinte d'une longue et grave maladie. C'est peut-être le cas d'ailleurs ... Lou ayant parfaitement compris la teneur de notre conversation m'a proposé très gentiment "T'as qu'à venir avec moi maman !". WARF ! Je me suis imaginée un instant adulte parmi les enfants. J'ai regardé Câline, en stage jusque fin décembre, partir travailler hier matin. Elle veut que je vienne déjeuner avec elle vendredi. Avant, c'était elle qui me voyait partir au labo, c'était elle qui venait partager mon repas. La dernière fois, ce devait être l"été 2010. Elle était à peine vêtue. "Il fait chaud maman !". Oui ma grande,mais tu n'es pas à la plage là.  Un peu plus tard, Dominique m'avait demandé : "C'est ta fille ?". Oui. "Qu'est-ce qu'elle est belle !". Oui mais qu'est-ce qu'elle est chiante ! m'étais-je exclamée.

Dominique était arrivée dans les bagages de D. En ^m temps que son mari promut Directeur Général avant que D ne s'apervçoive que le labo n'était pas son monde, ou qu'il n'était pas à sa place. Alors il a eu la très mauvaise idée d'appeler un de ses anciens collaborateurs, notre actuel ex-Cyberpresident. Comment par simple méprise faire entrer la peste dans une entreprise et l'y abandonner une première fois et encore une deuxième fois avant qu'elle-^m n'achève cette entreprise une dernière fois. Ce ne sont pas 115 salariés qui sont abandonnés mais près de 180. La mégalomanie d'un seul contre la vie de presque 200 personnes. Le CNC peut s'agiter, publier articles, donner des interviews, s'adresser au Président de la République, il ne parle que de sauvegarde du patrimoine alors que la destruction de nos sociétés est une catastrophe humanitaire, bien au-delà de négatifs, de films en court ou  de disques durs à préserver. Ce n'est pas le matériel qui est en danger mais les humains, ces gens qui ont fabriqué toutes ces images dont la scène se préoccupe maintenant.

"On ne parle pas beaucoup de vous" m'a-t-on dit. Des usines qui ferment, des salariés au chômage sont un sujet quotidien de l'information. Nous ne sommes pas plus importants que les autres sinon de par notre image "culturelle" ou "patrimoniale". Le cinéma, ça brille, un instant, le temps de poser sa caméra, de règler la lumière et de tourner la scène du jour. Qui à part nous regarde le générique dans son intégralité ? Jusqu'à la dernière image où nos logos apparaissent ?

20 décembre 2011

Mardi 20 décembre

Dnas la voiture, Lou m'a donné ses 3 images de sorcières : "Tiens, tu les emmènes avec toi au bureau". Il adore les sorcières et j'avais pris l'habitude le mercredi de prendre Vrai Doudou avec moi au bureau. Lou n'aime pas le centre de loisirs, trop de bruits pour lui et attraper son doudou était une façon de se rassurer, de se préparer à affronter une longue journée. Je ne voulais pas qu'il le garde avec lui : un oubli et Vrai Doudou abandonné au vestiaire pour la semaine. Nous avions trouvé un compromis : Vrai Doudou dans la voiture, Vrai Doudou au bureau pour la journée avec maman. Je l'installais sur le coin de mon disque dur, façon bras croisés, une jambe négligemment posée sur l'autre et ^bien sûr, son éternel sourire aux lèvres. Un peu de mon chou avec moi.

Ce matin, je lui ai répondu "Oui". Je ne sais pas comment lui expliquer ce changement. Lou est un petit garçon d'habitudes et les modifications de ces mêmes habitures le pertubent. Je le laisse cette semaine aux bons soins de Val pour ses fins de journée, comme d'habitude. La semaine prochaine, nous serons tous présents mais ce sera la logique des vacances, de ces fêtes de fin d'année. Ensuite, je serai là, enfin, lorsque Augustin le ramènera. Val ne le récupèrera que les mercredi.

Roger m'a posé la question : "Vous êtes en vacances ?". Oui, en vacances prolongées ! ai-je répondu. Il paraissait atterré par mon résumé de ces derniers jours : le contexte actuel, c'est terrible ... Je ne l'étais pas. J'avais embrassé les présents en quittant l'usine quelques heures plus tôt. Gaiment, vraiment. J'abandonnais mes bourreaux derrière moi : terminée la réception de mails odieux, d'échanges interminables et parfois angoissants pour démontrer à une sotte indécrottable que bien que ma supposée supérieure hiérarchique, elle était bien une sotte indécrottable.

Par deux fois, la Responsable de l'IEM m'a demandé de prendre rendez-vous avec un pédopsychiatre pour trouver une solution aux troubles du comportement de Lou qui a du mal à gérer ses émotions : explosions de joie, fou-rire incontrôlés, je ne vais pas y ajouter la colère car pour cette dernière, il s'auto-régule au fur et à mesure que les années passent. Il voit tant de ès spécilistes, les "grands blancs", qu'en ajouter un à la cohorte me parait insensé. Mais j'aurais tout autant pu prier cette responsable de passer quelques jours au bureau : nous regorgions de personnel affligé de graves troubles comportementaux et sûrement non suivis.  Le meilleur d'entre eux est notre ex-Président, Cyberpresident qui avait instauré une sorte de cour byzantine avec ses bras droit, gauche et frontal au féminin.

Depuis la chute, tout le monde parle. Ce serait un voyou, ses diplômes seraient usurpés. Je ne sais pas. Ce que sais moi est l'homme que je connais au travers de nos échanges qui se résument à rien depuis le départ de Gabriel. Une sorte de fantôme mauvais en tout, le seul employeur que j'ai connu qui ait, à 10 années d'intervalle, flanqué la ^m boite par terre en reproduisant à la lettre les ^m erreurs : auto-satisfaction, super ego. Mauvais gestionnaire, mauvais manager, mauvais financier, mauvais commercial. Mauvais en tout. Et pourtant intelligent avec une formidable capacité de travail mais dévoré par un complexe d'infériorité inguérissable. Le parvenu bling bling incompétent qui laisse 180 personnes et plus sur le carreau. Comment est-ce possible ? Pourquoi l'actionnaire n'a-t-il pas surveillé l'homme responsable de sa première intervention, celui qui en deux petites années avait ruiné l'acquis des trois précédentes ? Je ne sais pas. Je me souviens que D m'avait dit que l'actionnaire soupçonnait notre ex-Président d'avoir confondu sa poche et celle la société. Non, je ne le croyais pas et je ne le crois pas plus aujourd'hui. Je pense tout simplement que le titre, le salaire l'ont énivré d'un pouvoir qu'il n'avait pas.

Ange m'avait expliqué qu'il existait plusieurs façons de manager : celle qui consiste à assumer ses faiblesses et à s'entourer en conséquence de gens aptes à palier à ses carences et celle qui consiste à ne pas les assumer et à centraliser en conséquence le pouvoir, considérant que l'information était la clé de tout. Ici, nous avons toujours été dans le second cas de figure poussée à l'extrême. Aucun proche qui ne soit capable de lui faire de l'ombre, pas une compétence à un niveau élevé ou comment fabriquer des fantômes de directeurs, chacun d'abord encensé, projeté dans la lumière, puis chacun rejeté, subissant moults avanies et humiliations toujours en public au travers de réunions ou de mails : la règle était un seul destinataire mais la terre entière en copie. 

L'un m'est resté en mémoire. Il était à peine 8h du matin et notre Cyberpresident écrivait au directeur de l'intenational qu'il n'y avait "qu'un seul imbécile en France" pour accepter de prendre un certain client. Etant encore responsable du Service Clients, que je sois en copie n'était pas une aberration pas plus que mon responsable direct. Mais que sa compagne soit également en copie alors qu'elle s'occupait du juridique ne pouvait pas se justifier. Pas plus que les termes employés. Comment peut-on écrire à un collaborateur qu'il est un "imbécile" ? Le directeur mis en cause m'a appelée : "Qu'est-ce que tu en penses ?". Rien, lui ai-je répondu, ce sont des conneries. Il a raccroché. M'a rappelée quelques minutes plus tard. "J'ai bien envie de lui répondre". "Surtout pas !" car si je comprenais parfaitement le sentiment d'humiliation, je savais aussi que répondre aux conneries de notre supposé président serait pire : voilà un type qui adorait faire le coq devant sa poule mais ne supportait pas qu'on le remette en cause, quel que soit le résultat final. Et sur cette affaire particulière, l'avenir a montré au travers d'une dette finalement honorée que ses assertions malveillantes étaient infondées. Jacques m'a rappelée plusieurs fois. Je le sentais mais, hors son bras gauche victime d'éternelle psychorigidité, qui aurait supporté pareils écrits infâmants ? Au final, il n'a pas répondu et s'est retrouvé avec un Cyberpresident lui laissant x messages en soirée s'inquiétant de broutilles. Car si le gars était le roi de la plume et du verbe assassins, c'était aussi un peureux : silence de Jacques ? Il se trame quelque chose. Ou alors le roi des regrets : pardon indirect parce que je t'ai fait mal mais je veux que tu m'aimes encore ... Troubles du comportement avec-vous dit ?

19 décembre 2011

Lundi - 17h29

J'ai clos ce jour 18 années de ma vie professionnelle ou presque puisque je suis entrée dans la société tout début janvier 94. 

Un tourbillon d'émotions sur ces quelques derniers jours et pour moi, administrative, une véritable aventure humaine. Le labo, c'est, c'était une usine. Quand je travaillais sur le plateau, je cotoyais encore les gens, commerciaux, montage négatif, chargés de clientèle, les Sales, le planning. Reléguée dans l'annexe comptable, je ne faisais que croiser les gens. J'avais appris à connaître quelques ouvriers qui fumaient, comme moi, dans le "couloir de la mort" ou la Responsable de l'Environnement affichait très régulièrment le détail de tous les bienfaits du tabac. J'avais découvert, un peu, toute une population que je ne connaissais pas. Mais ce vendredi 9 déccembre, j'ai appris ce que pouvait être la solidarité.

La veille, le PSE avait enfin été voté à la majorité. 80 personnes s'apprêtaient à nous quitter, dans des conditions décentes à défaut d'être bonnes et quelque part, bien que nos sociétés aient été en RJ, j'étais convaincue que les administratifs seraient rebasculés sur les entités destinées à perdurer, comme le laboratoire. Le 10, l'info nous a été passée comme quoi, non, l'actionnaire avait finalement changé d'avis et que nous serions liquidés le 15. Ce que nous avons pris d'abord pour une rumeur s'est vue confirmée l'après-midi ^m en AG. Et à la fin, je n'ai pas pu retenir mes larmes. A cet instant précis mon aventure humaine a commencé : une paire de bras masculins non identifiée m'a serrée contre une poitrine tout aussi non identifiée et j'ai entendu des "Haffy pleure !" tout autour de moi. Haffy ? Comment tous ces gens que je croisais sans les connaître pouvaient-ils savoir que je me prénommais Haffy ?? J'ai été consolée, cajolée, choyée et moi qui n'avais connu en 22 ans que les bras de l'homme de ma vie, je me suis retrouvée à fréquenter tout un tas de muscles masculins et d'embrassades féminines. Une petite Fée m'a entraînée vers le bistrot où j'ai coninué de pleurer, refaisant le monde, évoquant les années écoulées, ce qui avait été fait, ce qui aurait dû être fait. A un moment, j'ai demandé l'heure et il était déjà 15h30. Je suis remontée dans mon bureau, ne sachant pas trop quoi faire. A compter de cet instant, les ouvriers ont bloqué l'usine et tout me paraissait irréel. Les salariés rejetteront la nouvelle proposition de l'actionnaire qui reporte le premier million accordé à 80 personnes sur les 115 désormais abandonné sur le carreau. Samedi, à minuit passée, nous sommes 5 à jouer au tarot. Je reçois un texto : nouvelle AG le lendemain à 10h. Le lendemain ? Lundi ? Car nous étions déjà dimanche. Non, dimanche.  Câline joue les secrétaires car elle est plus rapide que moi pour la frappe et renvoie l'info à tous ceux et celles que cela concerne. La maison dort encore, j'ai le nez au-dessus de mon bol. L'actionnaire a dit qu'il lui faudrait sortir encore 3M€ mais il ne les a pas. Cette idée me trotte dans la tête. Et soudain, je sais où trouver cet argent : il est dans les comptes. Je retrouve mes frères et soeurs d'arme, tous réunis en ce dimanche matin. J'interpelle un DP mais il n'est pas comptable et je n'ai pas accès à la clé de mon bureau. L'actionnaire a appelé l'un des représentants des salariés parce certains ont besoin d'argent, tout de suite. Hormis les directeurs, les salaires chez nous ne sont pas très élevès. Nous avons alors droit au récit de la journée du représentant dans les beaux quartiers. Inintéressant et surtout, cause de scission soit le résultat escompté. il est facile de se faire piéger par plus intelligent que soi en succombant aux sirènes du pouvoir. L'assemblée est houleuse, les rancoeurs éclatent. La majorité votera oui. Je comprends les oui, je comprends les non. Les administratifs présents ne votent pas : ^m si liés au labo depuis de très longues années, nous n'en sommes plus ses salariés mais ceux de la Holding. Aucune information n'étant communiquée par la DRH, à l'image de notre Direction Générale qui a toujours cru que la rétention d'informations était une forme de pouvoir, Le titre est Direction des Ressources Humaines : Direction il y a mais ressources humaines ne figurent pas dans son lexique. Alors, nous suivons les DP's et AG's du labo qui eux, modestes et bienveillants, communiquent sans défaut.

Le lundi, je suis fatiguée. Une journée portes ouvertes sera organisée le 15 et finalement, j'ai hâte d'y être, je veux que cela se termine. Je croise Gaétan qui, la veille, lui si calme, a bondi de son siège et laissé éclater sa colère. Je lui demande si il va mieux et il me répond : "Tu comprends, quand je t'ai vue pleurer ...".  Gaétan, cela fait des années que je croise sans le connaître. Il est extrêmement discret, bonjour, bonsoir, la BHP x est arrêtée pour entretien, révision, que sais-je moi qui ne suis pas technicienne. Son adresse  mail est telle que j'ai fini par confondre son nom de famille avec celui de ses machines. Pour moi, une BHP est forcément une _AUSBEC. Gaétan est toujours accompagné d'un autre gars, grand, un peu dégarni, tout aussi discret et dont à date, j'ignore toujours le nom. Tous ces gens que j'ai cotoyés, dont je connais le visage mais ne sais pas le nom. Je regrette. "Quand je t'ai vu pleurer" ... Je ne connaissais cet homme que de vue comme tant d'autres et pourtant ma détresse l'a touché, comme tant d'autres. Et jusqu'à ce soir, je n'ai vécu qu'une chaîne de solidarité, comme une gigantesque communauté qui se serait soudain réveillée, consciente de ses membres, de leur peine, de leur véritable affliction pour un nom qui allait disparaître.

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